La vidéo d'un transfert de cendres publiée récemment sur le réseau social TikTok choque certaines personnes. Ces images ont été publiées par une agente d'une entreprise bruxelloise de pompes funèbres. La jeune femme assure que sa démarche est explicative. Chelsea explique également pourquoi elle réalise cette manipulation. De son côté, le président de la fédération estime que ce genre de publication n'est pas appropriée. "C'est un peu morbide et limite", réagit-il.
En regardant des vidéos sur TikTok, un utilisateur du réseau social a été choqué par des images postées par une agente de pompes funèbres. "Trouvez-vous normal ou du moins respectueux qu’un transfert de cendres se retrouve sur TikTok ? N’y a-t-il plus de respect envers les défunts ? Ce n’est pas parce qu’ils sont en cendres qu’ils n’ont plus droit à un minimum de décence", estime-t-il via le bouton orange Alertez-nous.
Cette vidéo a été publiée récemment. Sur les images, on découvre une jeune femme ouvrir une urne funéraire puis mettre un masque pour verser les cendres dans une autre urne destinée à être inhumée, c’est-à-dire enterrée. De la poussière vole légèrement pendant ce transfert.
"J’aime le fait de donner un dernier hommage aux défunts"
La jeune femme s’appelle Chelsea. A 29 ans, elle est employée depuis deux ans par une entreprise familiale de pompes funèbres à Bruxelles. "C’est là que j’ai réalisé un stage dans le cadre de ma formation", explique-t-elle.
Chelsea a commencé récemment d’exercer cette profession hors norme. "J’ai toujours été attirée de base par ce métier. Pendant le confinement, j’ai vu une offre d’emploi pour travailler dans une morgue. J’ai regardé les qualifications requises et j’ai vu qu’il existait une formation spécifique à Bruxelles. Je me suis donc lancée", raconte la jeune femme.
Son job est une passion pour elle. "J’aime le fait de donner un dernier hommage aux défunts et d’accompagner une famille dans un moment particulièrement douloureux. Je les aide à passer cette étape difficile", confie l’agente.
"C’est vraiment une démarche explicative"
Quand elle débute sa formation d’un an, Chelsea décide de réaliser des vidéos sur Instagram pour assouvir la curiosité de ses proches. "Au début, je répondais surtout aux questions de mon entourage parce que c’est quand même un sujet tabou. Je montrais ce que j’apprenais à l’école", explique-t-elle. "Ensuite, j’ai voulu expliquer mon quotidien en tant qu’agente de pompes funèbres. C’est donc vraiment une démarche explicative car on se rend compte que beaucoup de personnes ne sont pas au courant et se retrouvent perdues quand elles sont confrontées à ça. Quand on reçoit des informations à l’avance, cela peut aider", pense la jeune femme.
La vidéo la plus vue, c’est celle de la préparation d’un cercueil d’un bébé
Récemment, la Bruxelloise décide de partager également des vidéos sur TikTok. Par exemple, la jeune femme prépare un cercueil ou reçoit une livraison de couronnes de fleurs. "Je n’ai jamais eu autant de vues. Cela a explosé. TikTok, c’est un réseau social qui permet plus de visibilité. La vidéo la plus vue, c’est celle de la préparation d’un cercueil d’un bébé. Quand il faut préparer les funérailles d’un enfant, c’est la partie du métier qu’on aime le moins", confie Chelsea.
D’après elle, les commentaires sont généralement positifs : "Certaines personnes me disent que c’est courageux et me racontent leur histoire personnelle de perte d’un proche. Il y a la curiosité aussi. Et il y a évidemment toujours des personnes qui trouvent cela choquant et je le comprends".
En diffusant la vidéo du transfert de cendres dans une urne, elle admet avoir eu un doute. "Je me suis dit : "Ça passe ou ça casse". Il y a eu un commentaire négatif", assure-t-elle.
Pourquoi Chelsea réalise-t-elle ce transfert de cendres ?
Voir une vidéo musicale avec les restes d’une personne décédée peut en effet paraître déroutant. Au-delà de ce sentiment, plusieurs questions se posent face à ces images. Tout d’abord, pourquoi Chelsea réalise-t-elle ce transfert de cendres ?
"L’urne noire est l’urne donnée par le crématorium après l’incinération. La famille du défunt a demandé les cendres pour les inhumer à l’étranger. C’est la raison pour laquelle je transfère les cendres vers une autre urne plus jolie, en bois naturelle. C’était la volonté de la famille", explique l’agente. "C’est la première fois que je réalise ce genre de manipulation", ajoute-t-elle.
D’après la Bruxelloise, des personnes demandent aussi des "mini-urnes" avec une partie des cendres pour les garder chez eux. "Le reste est inhumé, dispersé ou entreposé dans un columbarium", indique Chelsea.
D’après la loi, les proches d’un défunt peuvent en effet disposer des cendres de la dépouille mortelle de différentes manières. Ils peuvent :
• les déposer dans une urne, qui sera enterrée au cimetière ou placée dans le columbarium du cimetière
• les disperser sur une pelouse spécifique du cimetière
• les disperser sur la mer territoriale contiguë au territoire de la Belgique
• les transférer à l'étranger
De son vivant, le défunt peut également avoir demandé par écrit de disperser, conserver ou enterrer ses cendres à un autre endroit. Il doit en faire la demande auprès de la commune ou le spécifier dans son testament.
Les proches peuvent aussi faire cette démarche en introduisant une demande écrite à la commune.
"Le crématorium donne les cendres d’un défunt dans une urne scellée"
Normalement, ce n’est toutefois pas un agent de pompes funèbres qui manipule les cendres. "Le crématorium donne les cendres d’un défunt dans une urne scellée. C’est le fossoyeur, en tant que représentant communal, qui l’ouvre pour disperser les cendres au cimetière par exemple", indique Jean Geeurickx, président de la fédération wallonne des entrepreneurs de pompes funèbres.
"Une famille peut aussi demander de garder une partie symbolique des cendres. Par exemple, si une grand-mère décède, on peut mettre des cendres dans trois petites fioles pour les enfants s’ils le demandent. C’est autorisé. Nous apportons alors les fioles au crématorium et ce sont eux qui font cette manipulation", complète le président.
Enfin, si une famille désire inhumer les cendres, en Belgique ou à l’étranger, il faut prévoir une urne spéciale. "Dans ce cas-là, il faut utiliser une urne biodégradable sans métal car l’urne est enterrée dans la terre", indique Jean Geeurickx. C’est la situation évoquée par Chelsea. "En général, on ne verse pas les cendres d’une urne à une autre. Idéalement, on garde l’urne scellée du crématorium que l’on met dans une urne d’apparat plus grande. Il n’y a donc pas de manipulation de cendres. L’urne d’apparat, c’est comme une enveloppe. Et s’il devait y avoir une manipulation des cendres, c’est normalement un employé du crématorium qui le fait", assure le président de la fédération. Pour chaque démarche, il faut prévenir la commune.
Filmer ça, je trouve que c’est un peu morbide et limite
En apprenant l’existence de cette vidéo, Jean Geeurickx confie être perplexe. "Pourquoi montrer ça ? Filmer ça, je trouve que c’est un peu morbide et limite. Ce n’est pas révélateur de nos habitudes. C’est le mauvais côté de notre monde actuel où on fait des vidéos et des photos de tout", regrette-t-il.
Chelsea peut-elle filmer et diffuser ce genre d’images ?
Une autre question se pose : Chelsea peut-elle filmer et diffuser ce genre d’images ? La jeune femme assure réaliser ses vidéos en respectant la dignité des défunts et des familles. "Je ne montre aucune photo ni de nom car aucune identité ne peut être dévoilée. Je reste neutre et je me mets à la place de la famille. Le choix de la musique est aussi pensé", soutient la Bruxelloise.
"Selon le RGPD (ndlr : règlement général sur la protection des données), elle n’est pas en tort car un mort n’a plus d’existence. Mais cela peut poser problème au niveau de l’éthique. Je ne vois pas trop l’intérêt d’étaler cela en vidéo, même si elle est dans ses droits et respecte la dignité", estime le président de la fédération.
Il est interdit de prendre des photos de défunts et de les divulguer
Par contre, selon le règlement général qui régit le secteur des pompes funèbres, il est interdit de prendre des photos de défunts et de les divulguer. "Récemment, il y a eu un ouvrier de pompes funèbres en Flandre qui a diffusé des photos de défunts sur les réseaux sociaux. Les parents ont vu ces photos et se sont plaints auprès de notre fédération nationale qui s’est constituée partie civile. Le patron de cet employé n’était pas au courant", déplore Jean Geeurickx, en précisant qu’un procès en est cours.
Pour lui, ce genre d’attitude est "honteuse" et nuit au métier. "La qualité première d’un agent de pompes funèbres, c’est la discrétion. Il doit pouvoir tout entendre mais ne rien dire", souligne le président de la fédération.
De son côté, Chelsea affirme n’avoir jamais eu de retour d’une famille suite à ses publications. Elle insiste pour dire que sa démarche est purement explicative et correspond à la façon actuelle de diffuser des informations de manière virtuelle.